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Malgré l’inquiétude de Thanys, tout semblait se dérouler normalement. Les travaux de la cité sacrée se poursuivaient sans encombres si l’on exceptait les petites anicroches habituelles qui auraient donné des cheveux blancs au pauvre Akhet-Aâ s’il n’avait déjà affiché un crâne rasé. Les monolithes de calcaire et de granit continuaient d’arriver régulièrement à Saqqarâh, et l’ardeur des qenous ne faiblissait pas.

Parfois, Thanys en venait à douter d’elle-même : le démon pernicieux qui hantait la capitale n’était qu’une création de son esprit. La vérité était plus simple. Les Sethiens avaient survécu à l’holocauste du temple rouge, et s’étaient réfugiés en Nubie où ils avaient réussi à soulever des chefs de tribu toujours trop prompts à se révolter. Djoser était parti les combattre avec une armée de dix mille hommes. C’était plus qu’il n’en fallait pour étouffer cette rébellion et rétablir Hakourna sur son trône.

Pourtant, la jeune femme pressentait un complot bien plus grave. Les actions des Sethiens, pour monstrueuses qu’elles fussent, ne représentaient qu’une facette d’une machination destinée à plonger Kemit dans le chaos. Elles paraissaient n’être que les manifestations d’individus fanatiques, furieux de voir leur Dieu rouge relégué au second plan. Mais Thanys percevait, au-delà des Sethiens et des Nubiens, au-delà même du spectre mystérieux, l’influence d’une entité malfaisante et perfide. Esprit, divinité ou simple humain, cet ennemi insaisissable s’était désormais infiltré au cœur même des Deux-Terres, agissant dans l’ombre, d’une manière si subtile qu’il était quasi impossible de le démasquer. S’il était trop veule et trop lâche pour attaquer de front, il eût été dangereux de sous-estimer son intelligence, qui lui avait permis jusqu’à présent de brouiller toutes les pistes. Invisible et omniprésent, Thanys ressentait son influence néfaste. Elle le soupçonnait de pouvoir revêtir une apparence anodine et familière pour mieux les duper. Mais à qui en parler, sinon à Imhotep, le seul capable de la comprendre parce qu’il partageait ses craintes ? Un matin, elle s’en ouvrit à lui.

— Oh, mon père, j’ai parfois l’impression de devenir folle. Jamais la vie n’a semblé si facile à Mennof-Rê. Tout paraît simple depuis l’effondrement de la secte maudite et du démon qui la dirigeait. Et pourtant, jamais je n’ai ressenti aussi violemment sa présence invisible, comme si d’effroyables catastrophes s’apprêtaient à fondre sur nous. Que dois-je penser de tout cela ?

Imhotep lui prit les mains et les serra longuement.

— J’ai toujours admiré la profonde sensibilité des femmes, ma fille. Elles possèdent le don de « voir au-delà des apparences ». Les pauvres mâles que nous sommes, aveuglés par leur puissance illusoire, sont loin de disposer d’un tel atout. Mais sans doute est-ce là pour elles un moyen de compenser une certaine faiblesse physique. Aussi, tu dois faire confiance à ton intuition. J’ai interrogé les signes magiques. Ils confirment de grandes perturbations. Nous devons redoubler de prudence, Thanys.

 

Cela commença par une nouvelle augmentation à peine sensible du nombre de fauteurs de troubles qui, après s’être introduits dans les équipes de maçons, propageaient la rumeur d’une malédiction pesant sur Saqqarâh. Prévenus par Imhotep, la plupart des ouvriers s’étaient habitués à ces bruits, dont ils avaient appris à ne pas tenir compte, et même à se moquer. Malgré la surveillance constante de plus de deux cents gardes aux ordres de Semourê, il était impossible de remonter jusqu’à ceux qui répandaient ces fausses informations. Ils disparaissaient aussitôt après avoir diffusé leur message trompeur.

Imhotep combattait cette stratégie insidieuse en visitant quotidiennement le chantier. Galvanisés par sa présence et ses paroles d’encouragement, les maçons lui conservaient leur amitié et leur confiance.

Leur attitude commença à se modifier le jour où un câble brusquement rompu décapita d’un coup un ouvrier. Malgré l’aspect suspect du cordage, on conclut à un accident, mais il n’en fallut pas plus pour relancer la rumeur de la malédiction. Au début, elle circula à mots couverts, sous forme d’allusions, d’interrogations muettes, distillant une désagréable sensation de malaise. Le doute avait planté ses racines dans l’esprit des artisans. Il s’enfla d’un coup au beau milieu du mois de Paophi, à peine deux décades après le départ de Djoser pour la Nubie, lorsque frappa celui que l’on appela ensuite le démon de feu.

 

Le navire venait de charger une demi-douzaine d’énormes monolithes de calcaire et quittait le port de Tourah lorsque Tehouk, un marinier, fit remarquer au capitaine qu’une odeur étrange flottait sur le pont.

— C’est l’inondation, imbécile ! répondit vertement l’intéressé. Les eaux sentent mauvais.

Tehouk haussa les épaules puis regagna sa place au banc de nage. Sous les ordres du capitaine obtus, le navire s’éloigna de la rive en luttant contre le courant du fleuve, maintenant son cap en direction de l’entrée du canal menant au chantier de Saqqarâh. Une petite felouque, maladroitement manœuvrée par des pêcheurs, manqua d’être fendue en deux par le lourd vaisseau. Toujours aussi irascible, le capitaine agonit les pêcheurs d’injures pour avoir osé se mettre en travers de son chemin.

— Cela sent bizarre, confirma un rameur aux côtés de Tehouk.

Soudain, une onde de chaleur parcourut le navire, plus intense encore que celle du soleil qui écrasait la vallée. L’instant d’après, de hautes flammes s’élevaient de la cale, dévorant déjà le pont. Des cris de terreur retentirent, accentués encore par le balancement du vaisseau qui se mit à gîter dangereusement, déséquilibré par la masse des blocs de pierre qu’il transportait. Le capitaine demeura pétrifié de stupeur un court instant, puis poussa un cri d’épouvante, aussitôt imité par plusieurs hommes. Tehouk vit les lourds blocs glisser, puis basculer sur un groupe de rameurs. Il voulut se porter à leur secours, mais un rideau de flammes se dressa tout à coup devant lui, lui interdisant tout passage. Sous ses pieds, le pont devenait brûlant et une épaisse fumée noire commençait à noyer la vue. Au milieu des cris de terreur, il bondit jusqu’à la lisse et se jeta par-dessus bord, sans se soucier de la présence éventuelle de crocodiles. Lorsqu’il émergea des flots sombres du Nil en crue, il assista à un phénomène stupéfiant : malgré l’eau qui envahissait la cale du navire en train de couler, les flammes ne faiblissaient pas. Le fleuve lui-même semblait brûler : devant Tehouk, une nappe incandescente rampait sournoisement à la surface. Effrayé, il se mit à nager vigoureusement pour s’en éloigner. Bon nageur, il parvint à lui échapper. Lorsqu’il se retourna, il constata que plusieurs mariniers étaient parvenus à fuir la zone dangereuse. Puis il aperçut avec horreur quelques silhouettes se débattant en hurlant au milieu du brasier flottant. Tehouk serra les dents. C’étaient ses compagnons qu’il voyait périr sous ses yeux sans pouvoir leur venir en aide.

Sur les deux rives, les badauds fascinés commentaient le spectacle. Le feu était apparu sur le bateau sans aucune raison apparente. Tout semblait calme, puis des flammes soudaines avaient dévoré le navire en quelques instants. Lorsqu’elles consentirent enfin à s’éteindre, il ne restait plus rien de la grosse felouque de transport sinon quelques débris flottants que le courant eut tôt fait d’emporter. Convergeant vers le lieu du drame, des pêcheurs récupérèrent les naufragés, dont Tehouk. Mais la catastrophe avait causé la mort d’une douzaine de mariniers et de leur capitaine.

 

Appelé sur les lieux, Imhotep ne put que soigner les rescapés, dont certains étaient gravement brûlés. Tehouk, impressionné, raconta l’accident au grand vizir :

— Il n’y avait personne dans la cale, Seigneur. Le feu est apparu d’un coup, sans aucune raison. Juste avant, j’ai signalé une odeur bizarre au capitaine. Mais il m’a traité d’imbécile.

— Il avait tort. Cette odeur est sans doute liée à l’incendie.

Aucun doute n’était permis. Comme le temple rouge, le navire avait été détruit par le feu-qui-ne-s’éteint-pas. L’attentat portait donc la marque des Sethiens. Mais la mort des mariniers et la disparition spectaculaire du vaisseau avaient frappé les esprits. La nouvelle de l’accident se propagea comme un feu de brousse, amplifiée, déformée par les récits des spectateurs bouleversés. Les transporteurs de pierre, terrorisés, voulurent cesser le travail. Nombre d’entre eux n’osaient plus monter à bord des navires, prétendant que le démon de feu pourrait vouloir les détruire à leur tour. Imhotep dut user de toute sa diplomatie et de sa force de persuasion pour apaiser les craintes des mariniers. Sur son ordre, Semourê fit redoubler la surveillance du chantier.

Pendant plusieurs jours, tout redevint calme. Les blocs de calcaire traversaient de nouveau le fleuve sans difficulté. À peine débarqués, ils empruntaient la longue rampe recouverte de rondins d’acacia qui menait sur le plateau.

Chaque matin, Imhotep se rendait à Saqqarâh dans le milieu de la matinée, après avoir pratiqué l’élévation de la Maât à la place de Djoser. Comme le roi, il accordait une très grande importance à ce geste, destiné à protéger Kemit du chaos en la plaçant sous le signe de l’harmonie.

 

Ce matin-là, Thanys l’accompagnait, ainsi que le Directeur des greniers, le vieux Nakht-Houy. Ce dernier venait s’assurer sur place qu’il n’y avait aucun gaspillage des précieuses céréales. Ce renard d’Akhet-Aâ ne cessait de se plaindre que le grain n’était pas livré régulièrement. Mais le nombre des ouvriers variait sans cesse. Il était hors de question de gaspiller la récolte. Le roi l’avait prévenu : il fallait se montrer économe en prévision de la sécheresse dont les dieux l’avaient averti en songe. Il avait donc fait construire de nouveaux silos afin d’engranger le surplus des moissons. C’était à lui, Nakht-Houy, que le dieu vivant avait confié la tâche de prévoir l’avenir en constituant des réserves. Quand on nourrissait trop bien les ouvriers, ils travaillaient moins. Il s’était accroché à ce sujet avec le grand vizir, qui exigeait que ses hommes fussent bien nourris. On ne parviendrait jamais à constituer des réserves dans ces conditions-là.

Bien sûr, il était aussi hors de question qu’il plongeât les pieds dans la boue infecte qui détrempait la rampe menant sur le plateau. Il ordonna à ses serviteurs d’amener sa litière, dans laquelle il prit place en bougonnant selon son habitude. Imhotep le regarda avec un sourire amusé. Lui-même, tout comme Thanys, préférait monter à pied. Ce fut sans doute ce qui les sauva.

— La marche est excellente pour la santé, lança-t-il à l’adresse de Nakht-Houy avant d’emprunter la rampe en compagnie de sa fille.

Thanys était ravie de ces rares instants où elle pouvait bavarder avec lui. La complicité et l’affection qui les avaient réunis après vingt ans de séparation s’étaient confirmées avec le temps. En l’absence de Djoser, Imhotep avait élu domicile au palais, avec Merneith et le petit Nâou, à présent âgé de trois ans.

Devant eux, une vingtaine d’hommes hissaient un lourd bloc de calcaire solidement arrimé avec des cordages de fibres de palmier tressées. Un autre monolithe le précédait, plus haut sur le chemin.

Arrivés à mi-parcours, l’attention de Thanys fut attirée par un claquement insolite, suivi peu après d’un deuxième, puis d’un troisième. L’instant suivant, des cris retentirent, puis des exclamations de terreur. Imhotep comprit aussitôt ce qui se passait.

— Ce sont les cordages du premier bloc qui viennent de se rompre, s’exclama-t-il. Mais c’est impossible…

Impuissants, tous deux virent le premier bloc hésiter, puis quitter le traîneau sur lequel il était fixé. Il se mit à redescendre la pente, lentement au début, puis de plus en plus vite, en direction du second bloc et de l’équipe qui le tirait. Fascinés et incrédules, les ouvriers demeurèrent pétrifiés, n’osant lâcher leur propre monolithe qui risquait, lui aussi, de redescendre. Pour la première fois de sa vie, Imhotep ne sut comment réagir.

— Par les dieux, il va les écraser, souffla-t-il. Il faut qu’ils s’écartent.

— Mais le deuxième bloc va glisser, lui aussi, dit Thanys d’une voix blême. Que pouvons-nous faire, père ?

— Quitter cette maudite rampe au plus vite.

Il se mit à hurler à l’adresse des manœuvres :

— Lâchez les cordes ! Fuyez !

Mais l’argile mouillée rendait le sol glissant. Pris de panique, un ouvrier ne put s’écarter à temps. Il s’effondra maladroitement au moment même où le premier monolithe venait percuter le second. Thanys n’entendit qu’un hurlement de terreur, puis le craquement sinistre d’un corps broyé entre les mastodontes de pierre. Les deux colosses pivotèrent l’un autour de l’autre, puis poursuivirent leur descente ensemble, en direction de Thanys et d’Imhotep. Le grand vizir saisit sa fille à bras-le-corps et la poussa sur le côté. Serrés l’un contre l’autre, ils roulèrent au bas du remblais, s’écorchant contre les moellons mêlés au sable. Les deux masses folles passèrent au-dessus d’eux dans un vacarme épouvantable. Plus bas sur la rampe venait la litière de Nakht-Houy. Paniqués par la mort grondante fondant sur eux, les serviteurs lâchèrent les montants du véhicule, puis sautèrent vivement au bas de la rampe. La litière bascula lourdement sur le côté, emprisonnant son propriétaire qui n’eut pas le temps de se dégager.

Au moment où Thanys se relevait, un cri effroyable déchira l’air. L’instant d’après, les blocs de calcaire quittaient la rampe et venaient s’écraser en contrebas, emportant avec eux ce qui restait de la litière et de son passager. La jeune femme se mordit le poing pour ne pas hurler. Une terrible tache écarlate maculait les tentures de lin.

Bien après que l’on eut extrait le corps du pauvre Nakht-Houy des décombres de sa litière, un garde vint trouver Imhotep.

— Seigneur ! Regarde !

Il lui tendit un morceau de cordage.

— Je l’ai trouvé à l’endroit où le premier bloc a lâché.

— Voilà donc pourquoi les câbles ont cédé, gronda Imhotep avec colère.

Visiblement, la fibre avait été sectionnée en plusieurs endroits par une lame aiguisée.

 

La mort violente de Nakht-Houy suscita une vive émotion au sein de la Cour. Si l’on n’aimait guère le personnage, trop méticuleux, on respectait sa compétence et son honnêteté foncière. Mais surtout, cela faisait trois accidents mortels survenus en seulement quelques jours. L’idée qu’une terrible malédiction pesait sur Saqqarâh se confirma. Imhotep eut beau expliquer aux contremaîtres que le dernier accident était dû à un sabotage, leur montrer les cordages sectionnés, il ne put empêcher le doute de ronger les esprits. Un ouvrier sur cinq déserta le chantier. Ceux qui restèrent travaillaient dans une crainte permanente. Personne ne pouvait deviner où et quand les dieux en colère allaient frapper. Car il ne faisait aucun doute désormais que ces morts violentes étaient l’œuvre des divinités. Depuis toujours on murmurait que les neters hantaient volontiers l’Esplanade de Rê. Le roi avait cru les satisfaire en élevant à cet endroit un monument démesuré à leur gloire. En réalité, il les avait dérangés et irrités, et ils se vengeaient.

 

Le lendemain de l’accident, Mekherâ demanda à rencontrer de toute urgence la reine et le grand vizir. Thanys le reçut en compagnie d’Imhotep, de Sefmout, de Semourê et des plus importants ministres. En tant que Directeur des enquêtes royales, Moshem assistait à la réunion. Mekherâ attaqua directement.

— Je te conjure de m’écouter, ô ma reine. Nous devons absolument arrêter la construction de la cité sacrée sous sa forme actuelle. Elle mécontente les dieux.

— Les dieux n’ont rien à voir avec ces accidents, riposta aussitôt Imhotep.

— Comment le sais-tu ? s’emporta Mekherâ.

— Les câbles qui retenaient le premier bloc ont été volontairement tailladés afin qu’ils cèdent.

— Comment expliques-tu alors l’incendie du navire ? D’après les témoins, le feu a pris spontanément dans la cale.

— D’après les témoins, il s’est déclaré immédiatement après que le vaisseau a failli éperonner une petite felouque. On n’a pas retrouvé ses occupants. Mais plusieurs personnes affirment qu’elle frôlait le navire lorsqu’il s’est embrasé. Ils ont pu déclencher l’incendie.

— Et comment auraient-ils fait ?

— Imagine que le vaisseau ait été imprégné à l’avance d’une substance inflammable, comme l’huile, mais beaucoup plus puissante. Il aurait suffi d’une torche.

— Une substance inflammable… répondit Mekherâ d’un ton sceptique.

— C’est ainsi qu’ils ont incendié la demeure de Semourê, et le temple rouge, en sacrifiant volontairement une partie des leurs. Dans chaque cas, il y avait cette odeur nauséabonde. C’est celle d’une substance hautement inflammable.

— Personne n’a jamais entendu parler de cette substance, pas même toi, dont la science est si grande.

— Je n’ai jamais prétendu tout savoir, Mekherâ. Mais à Sumer, j’ai connu un homme qui avait appris à maîtriser le feu d’une façon stupéfiante. Il s’appelait Nesameb. On a dit qu’il était mort dans l’incendie de sa maison, mais personne n’a vu son corps. Je suis de plus en plus persuadé qu’il a survécu et qu’il se trouve en Égypte. Je ne serais pas étonné qu’il soit derrière ces incendies criminels. Il n’y a pas là d’intervention démoniaque, et encore moins de malédiction.

— Tes propos irritent les neters, Imhotep, insista Mekherâ. Tu attires leur colère sur nous. Rien ne prouve que ton raisonnement n’est pas uniquement inspiré par le désir de poursuivre la construction de cette cité sacrée, sans tenir compte des dangers.

— Mekherâ, répondit doucement Imhotep, je me souviens d’une conversation que nous avons eue il y a un an, au cours de laquelle tu m’as avoué que tu pressentais une métamorphose du dieu Seth en une divinité nouvelle, encore plus effrayante, car ce dieu impitoyable ne détruisait pas pour mieux permettre le retour de la vie, mais pour engendrer le chaos.

— Je me souviens de mes paroles, poursuivit Mekherâ. Je le pense aujourd’hui encore, surtout après la découverte des cérémonies abominables du temple rouge. Ce dieu nouveau détruit pour ramener le règne d’Isfet, déesse de la discorde, ou même plonger le monde dans les abysses du Noun. Et j’ai ajouté que cette cité sacrée était peut-être le seul moyen de lutter efficacement contre cette abomination. Mais je n’en suis plus très sûr à présent. Si ce dieu se révèle aussi puissant, peut-être devons-nous l’intégrer parmi nos neters, et bâtir Saqqarâh en tenant compte de sa présence, en le plaçant sur un pied d’égalité avec Horus.

— Seul l’Horus Neteri-Khet pourrait prendre une telle décision, Mekherâ, et je doute qu’il le fasse.

— Pourquoi ?

— Parce que ton hypothèse est fausse. Tu ne peux nier qu’on a payé des hommes pour répandre de faux bruits sur le chantier.

— Tu n’as aucune preuve. Cette piste n’a mené nulle part.

— Cela prouve que nous avons affaire à un ennemi remarquablement intelligent. Mais il ne s’agit pas d’un dieu ! insista le grand vizir.

— Tu oublies le spectre de Peribsen. Je suis certain que ses apparitions sont les manifestations de sa colère.

— S’il s’agit vraiment d’un spectre. Je refuse de croire qu’Osiris ait pu redonner vie à celui qui voulait offrir la première place à son assassin, Seth le Destructeur. De plus, s’il s’agissait d’un véritable fantôme revenu pour lutter contre le roi, il l’aurait combattu ouvertement, à Mennof-Rê, afin de reprendre ce trône qu’il estimait lui appartenir. Or, il ne se manifeste que dans des lieux éloignés, en s’adressant à des êtres fragiles sur lesquels il peut exercer son influence néfaste. Il redoute d’affronter son adversaire en pleine lumière. Ce spectre est donc un homme comme les autres, qui utilise une mise en scène pour convaincre les faibles et les crédules de se rallier à sa cause. Sans doute ne dispose-t-il pas de troupes suffisamment nombreuses pour combattre directement l’armée égyptienne. Cependant, il serait dangereux de le sous-estimer. Il a prouvé qu’il possédait la puissance et le charisme capables de galvaniser un peuple entier et de l’amener à se soulever.

— Et qui serait cet homme ?

— C’est ce que nous devons déterminer. Peribsen a pu avoir des fils, auxquels il a confié les richesses volées aux anciens Horus. Ce qui expliquerait que l’on ait retrouvé des pièces leur ayant appartenu en possession de bandits chargés de semer le doute dans l’esprit de mes ouvriers de Saqqarâh. Je suis persuadé que nous avons affaire à un complot destiné à éliminer le roi Djoser et à installer une nouvelle dynastie sur le trône des Deux-Terres. Une dynastie issue de Peribsen.

Moshem intervint.

— Je peux confirmer que de nouveaux objets portant la marque des Horus Djed et Nebrê ont été découverts il y a quelques jours entre les mains de bandits de l’Oukher. Il semble qu’ils aient servi à rémunérer les fauteurs de troubles chargés de faire croire qu’une malédiction pesait sur la cité sacrée. Ils utilisent la canaille des bas quartiers du port, qui s’engage dans les équipes d’ouvriers pour quelques jours, puis disparaît une fois sa tâche accomplie. J’ai tenté de démasquer les fournisseurs de ces pièces, mais je n’y suis pas parvenu jusqu’à présent. Il y a plusieurs mois, je suis remonté jusqu’à un domaine du nome de Per Ouazet. À mon arrivée, j’ai aperçu une troupe nombreuse. J’ai demandé l’assistance de la milice locale. Lorsque je suis retourné sur place, le domaine était abandonné. Sans doute ne servait-il que de lieu de rendez-vous. J’ai établi une surveillance discrète de l’endroit. Elle n’a rien donné jusqu’à présent. Nous ignorons d’où proviennent ces pièces, mais elle confirme que quelqu’un dispose du trésor de Peribsen.

— Un fils de Peribsen… murmura Mekherâ, songeur.

— C’est lui qui revêt l’apparence de l’usurpateur afin de faire croire à son retour du royaume d’Osiris. Il a fondé la secte des Sethiens fanatiques pour honorer sa mémoire. Malgré la victoire remportée dans la vallée du temple maudit, ils n’ont pas disparu. Il ne fait aucun doute que la rébellion de la Nubie est leur œuvre. Les apparitions de ce spectre en sont la preuve. Mais il y a plus grave : cet individu a sans doute conclu une alliance avec les Édomites.

— Les Édomites ?

— Ils étaient présents lors de la destruction du temple rouge. Il y a quatre ans, alliés aux Peuples de la Mer, ils ont envahi le Delta avec l’intention de s’emparer de Mennof-Rê. L’Horus Neteri-Khet a réussi à les vaincre et à les repousser au-delà du Sinaï. Leurs chefs sont parvenus à s’enfuir dans le désert. Je ne serais pas étonné que le fils de Peribsen ait été de ceux-là. Cette première invasion a un rapport avec ce qui s’est passé l’an dernier dans le Delta, et avec ce qui se passe aujourd’hui en Nubie. Plus encore que la folie fanatique d’une secte sanguinaire, nous devons redouter une nouvelle attaque des Édomites. Sans doute est-ce pour cela que l’on a éloigné l’armée. Ce n’est pas sans raison que l’on a attiré le roi en Nubie avec la plus grande partie de ses troupes.

— Mais alors, que pouvons-nous faire ? demanda Thanys, inquiète.

— Je peux réunir deux à trois mille guerriers, répondit Semourê. Cela ne sera pas suffisant, mais il va être difficile d’en recruter d’autres. Les paysans vont bientôt être occupés par les semailles. Et si nous voulons bénéficier de récoltes abondantes en prévision de la sécheresse, il est difficile de les arracher à leur terre.

— Nous disposons d’autres alliés, déclara Moshem.

— Lesquels ?

— Les bergers des marais. Depuis la destruction du temple des Sethiens, j’ai noué de solides liens d’amitié avec eux. Leur chef, Mehrou, voue une véritable vénération au roi. Je pourrais peut-être les convaincre de combattre à nos côtés si les Édomites venaient à envahir le Delta. Ils sont plusieurs milliers, et ils savent se battre.

— Mais qui gardera les troupeaux ? demanda Thanys.

— La crue d’Hâpy fut généreuse, ô ma reine. Les bêtes auront suffisamment de fourrage en restant dans leurs domaines. Les bergers seront donc disponibles.

— Voilà une idée excellente, Moshem, déclara Imhotep. Tu vas te rendre dans le Delta porter ta proposition à ce Mehrou.

— Je pars dès demain, Seigneur.

— Quant à moi, je vais adresser des courriers aux nomarques afin qu’ils tiennent leurs milices prêtes au combat.

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